Le prêtre Alberto Reyes a consacré l'une de ses réflexions à la manière dont le peuple cubain doit se guérir du processus de dictature une fois celui-ci terminé et que la transition vers un système démocratique aura lieu.
Reyes, de la diocèse de Camagüey, a plaidé pour un procès équitable pour ceux qui ont nui à la société, mais a averti que ce processus n'est pas suffisant, et que le peuple devra également pardonner à ses bourreaux et se pardonner à lui-même.
Le curé, connu pour ses interrogations à l'égard du gouvernement, plaida en faveur du pardon pour ceux qui ont surveillé, dénoncé et harcelé, mais aussi pour le peuple lui-même pour avoir été naïf et ne pas avoir perçu la tromperie ; pour sa double moralité, la peur de la vérité et l'abandon de ceux qui ont osé élever la voix.
Ci-dessous, CiberCuba partage le texte intégral de la publication.
J'ai réfléchi… (XCI) par Alberto Reyes Pías
J'ai réfléchi à la manière de guérir un processus de dictature.
Toute dictature est un système abusif, c'est pourquoi, lorsqu'une dictature prend fin et qu'une transition vers un système démocratique s'opère, il est nécessaire de juger équitablement ceux qui ont nui à la société.
Cela s'appelle "justice transitionnelle", et il est indispensable que le peuple puisse guérir ses blessures et se concentre sur l'avenir plutôt que sur la douleur et la colère liées à son passé.
Cependant, la justice transitionnelle n'annule pas le fait que tout peuple ayant subi une dictature aura toujours de nombreuses choses à pardonner et à se pardonner.
Avec le temps, nous devrons pardonner d'avoir été trompés en tant que nation, manipulés dans le meilleur de nos idéaux et habilement conduits vers un système pour lequel nous n'avons jamais lutté.
Nous devrons pardonner la chaîne de morts que ce système a provoquée : des exécutions massives à La Cabaña, en passant par la guerre d'Angola et tous les conflits armés auxquels nous avons été entraînés, jusqu'aux centaines de milliers de personnes qui ont perdu la vie en tentant d'échapper à une existence différente, et qui reposeront à jamais dans la mer, dans des rivières, dans des jungles impénétrables.
Nous devrons pardonner à ceux qui nous ont surveillés, nous ont dénoncés, nous ont harcelés, à ceux qui nous ont emprisonnés injustement.
Nous devrons pardonner tout ce qui n'a jamais été possible à cause de notre transformation en un peuple misérable, plongé dans un esprit de survie, sans espoir, sans illusions, sans droit de rêver nos propres horizons.
Nous devrons pardonner la faim que nous avons souffert, les maux causés par le manque de médicaments, le déracinement inévitable de l'émigration et les solitudes qui en ont découlé.
Nous devrons pardonner les heures interminables d'obscurité, de colère, d'inutilité et d'impuissance, la chaleur étouffante dont il était impossible de s'échapper, la torture des moustiques, et les maladies évitables qui n'ont pas pu l'être.
Oui, viendra un jour où nous devrons dire : 'Ce n'est plus le présent, c'est le passé, et cela doit rester dans le passé', même si une partie de ce passé continue, d'une certaine manière, à faire souffrir dans un coin du présent.
Mais pour que la guérison soit complète, il ne suffira pas de pardonner, car nous devrons aussi nous pardonner.
Nous pardonner d'avoir été un peuple naïf, qui s'est laissé séduire par un malade du pouvoir, mais surtout, nous pardonner d'avoir continué à jouer le jeu qui a peu à peu construit la prison qui maintenant nous étouffe, une fois que nous avons réalisé la tromperie.
Pardonnez-nous les applaudissements, les défilés euphoriques du Premier Mai, les tribunes ouvertes, les marches du peuple combatif, les innombrables actes de 'réaffirmation révolutionnaire', la complicité dans les actes de rejet…
Nous pardonner non seulement d'avoir admis passivement que nos enfants soient endoctrinés, mais aussi d'avoir dépassé cette admission en leur apprenant à 'ne pas se faire remarquer', à se taire, à acquiescer pour 'ne pas chercher de problèmes'. En fin de compte, nous pardonner, en quelque sorte, de leur avoir appris à devenir des esclaves.
Nous pardonner notre double morale, notre peur de la vérité, et notre tendance à laisser seuls ceux qui ont osé élever la voix résonnant dans nos propres consciences.
Une véritable transition ne commence pas dans les rues, mais dans l'âme, car dans une transition, la justice seule ne suffira pas ; on ne guérit pas d'une dictature sans le double processus de pardonner et de se pardonner.
Que penses-tu ?
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