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Dans son intervention lors du XI Plénum du Parti Communiste (PCC), Miguel Díaz-Canel a répété l'une des phrases les plus courantes de son répertoire : “Notre principale force est l'unité, basée sur le débat, la critique et la discipline consciente. Le peuple héroïque reste notre plus grande inspiration.”
À première vue, cela ressemble à une déclaration de principes répétitive et fissurée ; en pratique, cela révèle l'écart de plus en plus grand entre le pouvoir qui parle au nom du peuple et le peuple réel qui survit en dehors du discours.
Dans la narration officielle, le peuple cubain est une abstraction : un être héroïque, reconnaissant et discipliné, toujours prêt à résister, toujours convaincu de la justesse du projet socialiste.
C'est le peuple des slogans, celui qui apparaît dans les fresques, les journaux télévisés et les réunions du Parti. C'est le peuple amené et emmené par le populisme nationaliste du dictateur Fidel Castro, couvert de la poussière et de la salive du dépouillement et de la propagande. Mais ce peuple imaginaire n'existe plus que dans le langage du pouvoir.
Le véritable peuple cubain —celui formé par des générations de familles réduites au silence et apeurées, celui qui attend dans une file éternelle et paie des prix impossibles, celui qui vit entre les coupures de courant et cherche de la nourriture sur le marché noir— ce peuple ne se sent pas représenté dans cette rhétorique.
Il est vrai que le mot « peuple » a cessé d'être une catégorie politique et est devenu une excuse pour le système.
Lorsque Díaz-Canel déclare que "la confiance du peuple dans ses institutions se construit avec des faits", il omet que les institutions du pays ne rendent pas de comptes et ne se soumettent pas à l'examen public. Il n'existe pas de mécanismes de contrôle citoyen ni d'espaces de participation authentique. Ce qui est présenté comme un dialogue est, en réalité, un monologue.
Pendant des décennies, le discours officiel a tenté de remplacer la complexité sociale par une unanimité morale. Faire partie du peuple équivaut à être à l'intérieur de la soi-disant "révolution" ; diverger équivaut à s'en exclure. C'est pourquoi, lorsque le président parle du "peuple héroïque", ce qu'il décrit en réalité, c'est une version filtrée et domestiquée de la citoyenneté, celle qui applaudit, acquiesce et se tait.
En réalité, la population cubaine traverse l'un des moments les plus difficiles de son histoire récente : perte de pouvoir d'achat, migration massive, précarité des services de base et une méfiance croissante envers les institutions. Cependant, le discours officiel insiste pour la présenter comme un ensemble unifié et satisfait, héroïque dans sa résignation.
L'écart entre cette image idéale et la réalité quotidienne est si grand qu'il est devenu insoutenable.
Alors que le régime parle de « résistance », des millions de Cubains quittent le pays. Pendant que le PCC fait l'éloge de « la créativité populaire », les citoyens improvisent pour survivre sans ressources. Tandis que Díaz-Canel appelle à la « confiance », les gens répondent par le silence ou le sarcasme.
Cette déconnexion n'est pas seulement communicative : elle est politique. Un pouvoir qui ne reconnaît pas dans toute sa mesure et ses conséquences politiques le malaise social se retrouve finalement incapable de gouverner avec légitimité.
La rhétorique de l'héroïsme, qui a autrefois servi à rassembler, fonctionne aujourd'hui comme un mécanisme de négation. En insistant sur l'image du peuple héroïque, le régime nie le peuple réel, celui qui questionne, celui qui se fatigue, celui qui s'en va.
Dans son discours, le président a appelé à "renforcer la relation avec le peuple, à être plus transparents et plus exigeants avec les cadres." Mais tant qu'il n'existera pas de liberté de la presse, de participation citoyenne ni d'élections libres et pluralistes, ces phrases ne sont que des promesses vides. La transparence ne se décrète pas ; elle s'exerce.
À Cuba, le terme « peuple » a été utilisé tant de fois qu'il a perdu de son sens. Il a servi à justifier la censure, à imposer une idéologie, à légitimer la répression, à bénir des politiques vouées à l'échec et à faire taire ceux qui ne correspondent pas au récit.
Aujourd'hui, lorsque le régime le prononce, la majorité des Cubains ne s'y reconnaissent plus. Le véritable peuple ne se mesure pas aux applaudissements lors d'une séance plénière, mais à sa capacité à s'exprimer sans peur dans une société ouverte, libre et plurielle.
Et ce peuple, celui qui n'apparaît ni dans les discours ni dans les actualités, est celui qui a le plus clairement parlé : avec son ras-le-bol, avec sa migration, avec ses manifestations, ses moqueries et même avec son silence.
Ce que Díaz-Canel a dit, c'est que le peuple reste ferme. Ce que le peuple dit réellement, à voix basse, c'est qu'il ne croit plus à l'endoctrinement et aux slogans de la dictature.
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